Yves Congar - La crise dans l'église et Mgr Lefebvre (2023)
Cette contribution replace le spiritain Marcel Lefebvre dans l’évolution de sa congrégation, évolution dont le Chapitre général de 1962 (qui voient son élection comme successeur du T. R. P. Francis Griffin) et celui de 1968-1969 (qui s’ouvre sur sa démission), représentent deux temps forts institutionnels. En 1962, l’élection de Mgr Lefebvre s’explique par des raisons profondes : d’une part, l’avenir d’une congrégation missionnaire tournée vers l’Afrique paraissait incertain, d’autre part, la façon d’être « religieux » du missionnaire spiritain était de plus en plus remise en cause. Maintenir ce modèle, au moyen d’adaptations contrôlées et d’une relative déconcentration, forme le fond des réformes que le nouveau Supérieur général se propose de mettre en œuvre, un aggiornamento de type pacellien trop longtemps différé par le T. R. P.Griffin. Mais à la veille de Vatican II, ce programme, parfait pour les années Cinquante, arrive à contretemps. L’évolution politique africaine, faite de tumulteuses indépendances, pèse sur les deux Chapitres : le spectre de Kongolo hante celui de 1962, celui du Biafra est présent en 1968. Les documents préparatoires de 1968 amplifient les interrogations sur les buts de la Congrégation : certains tournent la page de la mission en Afrique. En parallèle, l’Église a également évolué et les fissures perceptibles en 1962 sont devenues des brèches béantes : les Spiritains n’échappent pas à la crise qui frappe le catholicisme en Occident pendant les décennies 1960 et 1970. L’un des aspects de cette crise multiforme, la montée d’une contestation traditionaliste pendant et après Vatican II, fournit à Mgr Lefebvre l’occasion de donner un contenu à son « rêve de Dakar », le séminaire international dont il exprime déjà l’idée au Chapitre général de 1962. Ce souci de formateur de prêtres qui le place dans la filiation de Claude Poullart des Places, via le P. Le Floch, il ne parvient pas à le réaliser, selon sa conception, pendant son supériorat. C’est avec la Fraternité sacerdotale saint-Pie X qu’il le met en œuvre, d’abord en marge relativement des orientations conciliaires, puis en marge de l’autorité pontificale à partir de 1975. Pour les Spiritains qui l’ont connu, ce fut sans doute l’aspect le plus étranger à leur culture pétrie de romanité, une culture qu’exprimait leur 18e Supérieur général, dans la lettre circulaire du 11 octobre 1962, en ces termes : « Qu’il n’y ait pas de place pour nos idées propres, mais que toutes nos idées soient celles de l’Église et du Pape, que notre volonté soit de nous conformer à la volonté de l’Église. »
Auteur(s):
Yves Congar
Titre: La crise dans l'église et Mgr Lefebvre
Éditeur:
Le Cerf
Pages: 107
Langue: Français
Format: Epub