« Pierre rêvassait, l’œil égaré dans les ténèbres qui défilaient par la fenêtre arrière de la Peugeot 203. Les branches des sapins s’étendaient de chaque côté de la route comme autant de membres spectraux et griffus. Pourtant l’image ne l’effrayait pas. Elle lui rappelait les contes que lui racontait sa grand-mère aux veillées d’hiver lorsqu’il était enfant. — Fayet ! L’interpellation l’arracha subitement à ses souvenirs. — Oui, Monsieur le commissaire ? fit-il en se redressant sur son siège. — Qu’est-ce-qui nous vaut d’arpenter la campagne à une heure pareille ? Le commissaire Fournier était un blasé. Près de trente années de service et une guerre avaient eu raison de son zèle. — Un meurtre, Monsieur le commissaire. Une jeune femme de dix-neuf ans, fraîchement débarquée d'on ne sait où. Une personne discrète, éteinte je dirais et qui ne fréquentait personne. — Humpf, grommela Fournier. Et c’est à ça que vous voulez consacrer votre vie ? Réfléchissez bien, avant de prononcer vos vœux ! Le commissaire s’était exprimé comme un prêtre désillusionné qui s’adresse à un novice trop fervent. Pierre n’y prêta guère attention. Les états d’âmes de son patron ne le concernaient pas. Lui, Pierre Fayet inspecteur stagiaire de vingt-trois ans, avait ses certitudes et il n’avait aucune envie les laisser éroder. Un certain mépris accompagna sa réflexion muette. »